J’ai continué, ce matin, mon vagabondage à la découverte de Nairobi, la ville qui m’abrite depuis plus d’un an maintenant. Je m’arrêtai dans un quartier un peu au nord du centre-ville pour regarder. Mon vagabondage ne m’a pas conduit vers des ponts suspendus à bases de raphia, ni dans des parcs verdoyants ou encore vers des chutes époustouflantes. Debout sous un temps gris, j’aperçu, derrière la beauté du centre-ville, un immense quartier qui sentait la caserne. Là, hommes, femmes, véhicules, toute une population confuse et pris dans le mouvement de la vie quotidienne. C’est Kariokor.
Kariokor était l’un des plus anciens sites de Nairobi. Il a été utilisé pour la première fois pour héberger des membres du corps des porteurs africains, pendant la Première Guerre mondiale. Les bâtiments, aujourd’hui démolis, ont été construits en longues files. Une famille entière pouvait vivre dans l’une de ces petites pièces, qui ne mesuraient souvent pas plus de 3 mètres sur 3 mètres.
Mais Kariokor, c’est aussi une usine de Maroquinerie et de Bijouterie à ciel ouvert. Malgré la pandémie de la COVID 19, de milliers d’hommes et de femmes, cette majorité silencieuse pour reprendre les expressions de Jean Baudrillard, y travaille chaque jour pour y gagner leur pain quotidien. L’art, le beau et la classe se produisent dans l’absurde et le désordre de cette usine à ciel ouvert. Des va- et -vient sans cesse, rien à craindre du coronavirus. Interrogé sur le respect des mesures barrières, et les mesures de distances sociales ou encore du port du masque, l’on m’a répondu : « si la Covid ne nous tue pas, c’est la faim qui nous tuera. »
Et comme le disait Antoine de Saint Exupéry dans Terre des Hommes : « ces gens ne souffrent guère de leur sort. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. »